Braine vient de passer trois mois dans un hôpital militaire. Il a été gravement commotionné. Il peut de
nouveau dire, lire et écrire son nom. Il va rentrer à la maison. Lily l'attend. Il est de retour. Il arrive. Souhaitons-leur de vivre enfin heureux.
Les premières pages
Une tragédie en couleurs
«Lily et Braine» le quatorzième roman de Christian Gailly, enchante par son épure, sa simplicité efficace, ses sons et ses images. Un drame tout simple, mais qui dévoile
la guerre dans le quotidien.
«Vous me parlez comme au cinéma, dit Nadia, on dirait une scène de film. Je ne vois pas de différence, dit Braine, avec ou sans caméra, c'est une scène, une scène dialoguée, le garçon
plus âgé dit à la jeune fille: Vous devriez rentrer, sinon. Sinon quoi?»
Le cinéma et ses codes, fluidité de l"écriture, des dialogues, du montage, des scènes; la tendresse des chansons – «Que reste-t-il de nos amours?» de
Trenet passe sur l’autoradio; le jazz en musique de fond avec ses improvisations culminantes, passionnées, Christian Gailly tisse tout cela dans la magnifique toile romanesque qu’il
publie chez Minuit en cette rentrée de janvier 2010.
Lily et Braine, un titre simple comme celui d’une chanson populaire. Il fait beau, une chaleur étouffante, et cette image qu’on a déjà dans l’œil: une femme en robe légère, Lily,
un petit garçon, Louis, une petite chienne, Lucie, accueillent sur un quai de gare Braine, mari, père et maître mais aussi soldat de retour de guerre. Une bouffée de douce nostalgie
d’étés et d’amours pures submerge le lecteur.
Tout de suite, Christian Gailly mine sa carte postale. Marguerite Duras déjà, en exergue, avec Lol V. Stein et son «pessimisme gai» nous a avertis que quelque chose clochait. Et
puis, il y a ce mutisme du soldat, les ratés soudains du moteur de la voiture, le pistolet dans les affaires du mari. Et encore, ce beau-père puissant, arrogant, Arthur Sligo, tout plein
de la «grossièreté de l’homme soûl qui s’est fait lui-même», qui veut voir son gendre. Tout de suite. En uniforme.
Les «quatre Braine» n’en tentent pas moins de jouer la mélodie du bonheur. Les robes de Lily sont bleues, les draps blancs, bien repassés, le poulet et les pommes de terre fument sur la
table du jardin. Braine est dépanneur, libre sur les routes. On se croit dans une autre chanson de Trenet, «Boum!», le cœur fait boum. Mais – Boum! – d’autres couleurs, d’autres odeurs,
d’autres douceurs menacent. On va vers l’automne.
Le bleu des robes de Lily ne va pas tarder à pâlir face à un jaune fatal, à virer au vert; puis le rose va passer au rouge et le noir prendra le pouvoir. Merveilleux jeu des
couleurs chez Christian Gailly . Les robes, peignoirs, pyjamas, jaunes, verts, rayés, à fleurs, les complets clairs, blancs à pochettes noires, smoking. Tissus, draps, manteaux, costumes,
ces textiles cruels annoncent et racontent le drame comme autant de signes, dévidant un fil qui s’arrêtera, coupé net.
Ce roman, le quatorzième de Christian Gailly, répond de toutes sortes de manières aux précédents. Il y a là une Suzanne comme dans d’autres textes, un Louis, un Lucien; il y a un musicien
qui a presque oublié qu’il l’était; il y a une patronne de night-club fascinante; il y a ce drame et ce bonheur mêlé d’aimer plusieurs femmes à la fois; des digressions aussi – mais pas trop. Le narrateur observe et
n’intervient que discrètement: «Pour ceux que ça intéresse.» Car il faut garder l’épure, cette ligne claire d’une tragédie annoncée qui traverse le livre. Malgré le foisonnement des
couleurs, des références, Gilda, Comme un torrent, Prévert, Kosma, malgré le swing, Miles Davis, Coltrane et les autres, Christian Gailly ne perd jamais de vue la
rigueur fatale qui pousse l’histoire vers sa fin, avec la complicité de tous les personnages, sans que rien ni personne puisse enrayer la machine.
«Ça sentait la guerre.» Lily et Braine sent la guerre, la guerre de loin, oubliée derrière les écrans éteints, mimée dans les films de guerre, reléguée dans les rêves du
soldat, surgissant dans des terreurs brusques qui trouent le quotidien. Avec une maîtrise de l’écriture qui lui permet de muer en mots les images, les couleurs et les sons, Christian
Gailly interprète magnifiquement ce drame qui mène au cœur noir de l’hiver
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