Le Point : Comment se fait-il que, dès le départ, en 1679, ce qui aurait dû être une simple enquête
impliquant quelques empoisonneuses se transforme en affaire d'État ?
Jean-Christian Petitfils : Louis XIV s'était irrité de la publicité donnée au procès de la marquise de
Brinvilliers en 1676. Celle-ci avait empoisonné son père, ses deux frères, tenté d'empoisonner sa belle-soeur et sa fille. Lorsque, trois ans plus tard, éclate l'affaire des poisons, il décide
de soustraire le dossier au Parlement et de créer une commission spéciale, la Chambre ardente, dont le magistrat instructeur est le lieutenant général de police La Reynie. La difficulté naît de
ce qu'on mesure mal alors l'ampleur du procès. On exécute les devineresses à mesure que leur instance est close. Lorsque l'on s'aperçoit que toutes les affaires sont liées, on se trouve manquer
de témoins. La Voisin, la plus célèbre, est brûlée vive en février 1680, et c'est en juillet que sa fille commence à faire des révélations fracassantes sur Mme de Montespan. Louis XIV décide
alors d'extraire des interrogatoires ce qu'on appelle les "faits particuliers", c'est-à-dire les accusations portées contre la favorite. Ceux qui ont cité son nom, au lieu d'être jugés, sont
expédiés dans des citadelles de province, où ils finissent leurs jours dans des conditions atroces.
Ces accusations contre la Montespan sont-elles fondées ?
Un procès de onze ans antérieur à l'affaire montre que Mme de Montespan avait déjà participé à des cérémonies sacrilèges. Elle se faisait lire les
évangiles sur la tête, faisait enterrer des coeurs de pigeon pour obtenir l'amour du roi. Cela donne une certaine crédibilité aux déclarations postérieures des empoisonneurs, qui se trouvent
être les mêmes. Ainsi, il est établi qu'elle a entretenu un commerce avec les marchandes de filtres, dont La Voisin, pour faire avaler au roi des aphrodisiaques, notamment des poudres de
mouches cantharides (en réalité très dangereuses pour la santé). D'où les fortes nausées du roi en 1676.
En revanche, la question se pose pour les messes noires, ces cérémonies qui donnaient lieu à des sacrifices de nouveau-nés. Nul n'a de preuve, et je suis, comme La Reynie, perplexe. Quant à la
dernière accusation, la tentative d'empoisonnement du roi et de sa nouvelle maîtresse, Mlle de Fontanges, en refaisant la chronologie, je me suis aperçu que Mme de Montespan ignorait à ce
moment-là qu'elle avait une rivale. Voilà pourquoi j'avance un autre nom, celui de l'ancienne suivante de Mme de Montespan, Mlle des OEillets, elle-même un temps maîtresse du roi, qui assurait
la liaison avec les empoisonneurs : elle aurait voulu se venger de son amant, qui refusait de légitimer sa fille.
La découverte des archives de ce long procès est elle-même
exceptionnelle.
Au XIXe siècle, un jeune conservateur, François Ravaisson, nommé à l'Arsenal, a découvert en réparant sa cuisine, sous les lattes du parquet, toutes les
archives de la Bastille que l'on croyait perdues ! Il les a publiées en une vingtaine de volumes. En 1709, à la mort de La Reynie, le roi avait fait brûler les dossiers secrets contenant les
"faits particuliers". Heureusement, le lieutenant général de police en avait fait des résumés : conservés à la Bibliothèque nationale de France, ils nous permettent aujourd'hui de voir un peu
plus clair dans cette affaire pleine de mystères.
L'Affaire des poisons , de Jean-Christian Petitfils (Ed. Perrin, 380 pages, 21,50 euros).