lu sur le site "proliturgia.org" cet article fort intéressant,pour les 50 ans de Vatican II:
50 ANS APRES L’OUVERTURE DE VATICAN II :
L’APPLICATION DE LA CONSTITUTION SACROSANCTUM
CONCILIUM
DANS NOS PAROISSES.
En 2012, l’Eglise fêtera les 50 ans de l’ouverture du concile Vatican II.
A cette occasion, les fidèles seront invités, en beaucoup d’endroits, à participer à des colloques, à des conférences, à des rencontres visant à établir un bilan de ce Concile oecuménique qui a
marqué le XXe siècle et dont les papes ont rappelé qu’il était une boussole pour l’Eglise.
Mais une question préalable à tout bilan mérite d’être posée : les fidèles ont-ils à leur disposition les connaissances qui leur permettent de juger si ce que les conférenciers invités à prendre
la parole leur diront à propos de la portée de Vatican II est exact ou non ?
Pour répondre à cette interrogation, il faut se souvenir que Vatican II, ce sont 4 Constitutions, 3 Déclarations et 9 Décrets : autant de documents qui pour être correctement compris demandent un
certain nombre de connaissances théologiques et historiques que n’ont pas tous les fidèles. En outre, la plupart de ces documents s’adressent plus aux pasteurs - c’est-à-dire aux évêques et aux
prêtres - qu’aux laïcs. On peut considérer que ce sont, pour eux, des « outils de travail ».
En fait, le seul document conciliaire qui peut facilement parler à tous les fidèles est la Constitution Sacrosanctum
Concilium : dans la mesure où il concerne la liturgie, laquelle est le bien commun de tous les baptisés, il parle
directement à tous les fidèles de l’Eglise. De plus, il s’agit d’un texte relativement aisé à lire car, après une assez brève introduction rappelant le sens et le rôle capital de la liturgie dans
la vie de l’Eglise, il donne les grandes lignes de la restauration de la liturgie dite « romaine », c’est-à-dire de la liturgie (Messe, Offices) dont la structure générale à ses racines dans la
prière officielle de l’Eglise telle qu’elle s’était organisée à Rome au cours des premiers siècles.
Sacrosanctum
Concilium est donc un document à la portée de tous : tous les fidèles devraient en connaître les grandes lignes.
Alors, au lieu d’essayer de faire un « bilan de Vatican II », sujet bien trop complexe et trop vaste pour être présenté au commun des fidèles, n’est pas plus bénéfique de s’arrêter à la « réforme
liturgique » qui a été voulue par le Concile et de poser une question toute simple : les célébrations liturgiques, telles qu’elles sont généralement mises en oeuvre dans les paroisses,
correspondent-elles à ce que la Constitution Sacrosanctum Concilium a souhaité réaliser ?
Pour répondre à cette question, on peut regarder vers deux directions.
La première nous permettra de voir si l’aménagement des églises correspond à ce que Sacrosanctum Concilium
a demandé de faire. La seconde direction permettra de voir si les messes paroissiales sont vraiment célébrées dans le respect des
grandes lignes de la Constitution et qui ont abouti à la publication du Missel romain actuel.
Entrons dans une église paroissiale, n’importe où, en France.
On y trouve, à quelques très rares exceptions près, deux éléments caractéristiques de l’aménagement post-conciliaire des sanctuaires : l’autel « face au peuple » placé généralement assez en avant
du chœur, et la disparition des barrières (ou bancs de communion) qui délimitaient autrefois l’espace sacré où se déploie la liturgie.
A ces deux caractéristiques s’en ajoutent d’autres qui offrent d’infinies variabilités en fonction des endroits. Ce sont : une certaine disparité du mobilier (autel, chaises, sièges, bancs,
pupitres...), la multiplication des micros (souvent très visibles comme s’il s’agissait d’un élément essentiel de la liturgie), une plus ou moins grande déficience de l’esthétique qui s’ajoute à
une absence de symétrie (on pense ici à cette mode consistant à placer quelques bougies sur un coin de l’autel et un bouquet de fleurs sur le coin opposé), une accumulation d’éléments totalement
étrangers à la liturgie comme par exemple des panneaux, des affiches, des banderoles, des slogans, des sigles... etc.
Si l’on étudie la Constitution Sacrosanctum Concilium, on constate qu’aucun de ces éléments et
aménagements auxquels les fidèles semblent s’être habitués à force de les voir dans toutes les églises paroissiales, ne répondent à ce que le Concile a demandé.
Le Concile, en effet, n’a parlé ni de la nécessité ou de l’obligation de célébrer l’Eucharistie sur des « autels face au peuple » de telle sorte que tout ce que fait le célébrant puisse être vu
des fidèles, ni de la nécessité de supprimer ce qui matérialisait une claire distinction de l’espace sacré dans lequel se déroulent les rites.
Le Concile n’a jamais appelé à considérer l’esthétique de la liturgie (qui se base sur l’aménagement des sanctuaires, sur les attitudes des ministres de l’autel, sur le port de vêtements
liturgiques spécifiques, sur les paroles dites ou chantées... etc.) comme secondaire, comme s’il ne s’agissait que d’un détail sans incidence pastorale.
Tout au contraire, la Constitution Sacrosanctum Concilium a rappelé :
- que nos liturgies terrestres devaient refléter la liturgie céleste célébrée à la gloire de Dieu par les anges et les saints auxquels nous sommes associés dès ici-bas (cf. n°8);
- que tout ce qui est utilisé dans la liturgie doit contribuer de façon digne et belle à donner de l’éclat au culte rendu à Dieu (cf. n°122) et qu’il faut en conséquence écarter de la maison de
Dieu tout ce qui est médiocre ou qui blesse le sens religieux des fidèles (cf. 124).
Pour ce qui concerne la disposition des autels, le Concile ne dit rien ; cette question viendra ultérieurement et sera traitée par la Commission (Consilium) chargée de veiller à la bonne
application des orientations conciliaires. Cette Commission précisera simplement que l’autel doit - si possible - être séparé (« décollé ») du mur pour qu’on puisse en faire facilement le tour
et, éventuellement, célébrer « face au peuple ».
Il faut donc bien reconnaître que l’aménagement des églises de France, tel qu’il apparaît 50 ans après l’ouverture de Vatican II, témoigne d’une certaine méconnaissance des enseignements de la
Constitution sur la liturgie, ou bien d’une réception défaillante des instructions données par les pères conciliaires réunis autour du Bx Jean XXIII d’abord, de Paul VI ensuite.
Cette méconnaissance des enseignements conciliaires apparaît davantage encore lorsqu’on observe la façon dont la liturgie elle-même est généralement mise en œuvre.
Quand on sait que le Missel romain restauré à la suite de Vatican II donne des règles qui, pour garantir une célébration correcte de la liturgie eucharistique, ne sont ni optionnelles ni
adaptables (comme l’a encore rappelé le Cardinal Piacenza dans la Lettre qu’il a adressée aux Recteurs de sanctuaires le 15 août 2011), on ne comprend pas qu’il puisse y avoir aujourd’hui autant
de façons différentes - parfois même antinomiques - de célébrer la Messe. On ne s’explique pas comment il peut se faire qu’il y ait tant de variations liturgiques d’une célébration eucharistique
à l’autre, en fonction du prêtre, de la paroisse, de l’heure, de l’assemblée... Un même Missel ne devrait-il pas « produire » une liturgie qui soit invariable d’une paroisse à l’autre, d’une
Messe à l’autre ?
La réponse à cette question se trouve encore dans la Constitution Sacrosanctum Concilium. Au n°22, on lit que « le droit de régler l’organisation de la liturgie dépend uniquement de l’autorité de l’Eglise (...) C’est pourquoi
absolument personne d’autre, même prêtre, ne peut, de son propre chef, ajouter, enlever ou changer quoi que ce soit dans la liturgie. »
Ce point, qui touche directement à l’unité de la foi et vise à éviter que la liturgie ne se transforme en une simple célébration collective de « bons sentiments chrétiens », est tellement
important, que l’Eglise a cru utile de le rappeler à tous les fidèles, mais plus spécialement aux prêtres. Ainsi lit-on au n°24 de la Présentation Générale du Missel Romain, que « [Le prêtre
célébrant] se souviendra qu’il est le serviteur de la liturgie et qu’il ne peut de son propre chef ajouter, enlever ou changer quoi que ce soit dans la célébration de la Messe. »
L’existence de multiples « formes » de Messes, lesquelles « formes » sont à l’initiative soit du célébrant soit de groupes de fidèles, montre ici encore que le Concile a été mal compris, mal
reçu. Pourtant, l’obligation de respecter les règles liturgiques garantissant partout la similitude entre les différentes célébrations de l’Eucharistie a été souvent rappelée. Quelques exemples
:
- le pape Paul VI en s’adressant au « Consilium » pour la liturgie, le 19 avril 1967, relève que le fait de donner des formes arbitraires à la liturgie est en total désaccord avec les normes en
vigueur dans l’Eglise et conduit à déconcerter les fidèles ou à semer le trouble dans les communautés paroissiales;
- le Bx Jean-Paul II, dans la Lettre Dominicae Cenae qu’il envoie en 1980 aux évêques du monde entier à l’occasion du Jeudi saint, souligne que « le prêtre, comme ministre, comme célébrant, comme
étant celui qui préside l'assemblée eucharistique des fidèles, doit avoir un sens particulier du bien commun de l'Eglise, qu'il représente par son ministère, mais auquel il doit être aussi
subordonné selon une discipline correcte de la foi. Il ne peut pas se considérer comme un « propriétaire », qui dispose librement du texte liturgique et du rite sacré comme de son bien propre, en
allant jusqu'à lui donner un style personnel et arbitraire. Cela peut parfois sembler plus efficace, cela peut aussi mieux correspondre à une piété subjective, mais objectivement c’est toujours
trahir l’union qui doit trouver son expression surtout dans le sacrement de l’unité. Tout prêtre qui offre le Saint Sacrifice doit se rappeler que, pendant ce sacrifice, ce n'est pas lui
seulement avec sa communauté qui prie, mais c’est toute l’Eglise qui prie, exprimant ainsi, notamment en utilisant le texte liturgique approuvé, son unité spirituelle dans ce sacrement. Si
quelqu’un voulait appeler une telle position « uniformisme », cela prouverait seulement l’ignorance des exigences objectives de l’unité authentique, et ce serait un symptôme d’individualisme
dangereux. »
Et Jean-Paul II d’ajouter : « La subordination du ministre, du célébrant, au « Mysterium » qui lui a été confié par l’Eglise pour le bien de tout le peuple de Dieu, doit aussi trouver son expression dans l’observation des exigences
liturgiques relatives à la célébration du Saint Sacrifice. Ces exigences portent, par exemple, sur l’habit, et en particulier sur les ornements que revêt le célébrant. Il est naturel qu’il y ait
eu et qu’il y ait des circonstances dans lesquelles les prescriptions n’obligent pas. Nous avons lu avec émotion, dans des livres écrits par des prêtres qui avaient été prisonniers dans des camps
d’extermination, des relations de célébrations eucharistiques faites sans suivre ces règles, c’est-à-dire sans autel et sans ornements. Si, en de telles conditions, cela était une preuve
d’héroïsme et devait susciter une profonde estime, dans des conditions normales toutefois, négliger les prescriptions liturgiques peut être interprété comme un manque de respect envers
l’Eucharistie, éventuellement dicté par l’individualisme ou par un défaut de sens critique au sujet des opinions courantes, ou par un certain manque d’esprit de foi. » (Cf. n°12)
Dans la Lettre apostolique Vicesimus quintus annus écrite le 4 décembre 1988 à l’occasion du 25e anniversaire de la Constitution Sacrosanctum Concilium, le Bx Jean-Paul II déplore une nouvelle
fois les déviations introduites dans la liturgie : « On constate parfois des omissions ou des ajouts illicites, des rites inventés hors des normes établies, des attitudes ou des chants qui ne
favorisent pas la foi ou le sens du sacré (...). On ne peut tolérer que certains prêtres s’arrogent le droit de composer des prières eucharistiques ou de remplacer les textes de l’Ecriture sainte
par des textes profanes. Des initiatives de ce genre, loin d’être liées à la réforme liturgique elle-même, ou aux livres qui en sont issus, lui contreviennent directement, la défigurent et
privent le peuple chrétien des richesses authentiques de la liturgie de l’Eglise. » (cf. n°13)
- le pape Benoît XVI, dans l’Exhortation post-synodale Sacramentum Caritatis du 22 février 2007, souligne que « là où les prêtres et les responsables de la pastorale liturgique s’emploient à faire connaître les livres
liturgiques et les normes liturgiques en vigueur, mettant en évidence les grandes richesses de la Présentation Générale du Missel Romain (...), la célébration eucharistique en tire profit. » Et
il ajoute : « Pour un ars celebrandi correct, il est tout aussi important d’être attentif à toutes les formes de langage prévues par la liturgie : parole et chant, gestes et
silences, mouvements du corps, couleurs liturgiques des vêtements. En effet, la liturgie possède de par sa nature une variété de registres de communication qui lui permettent de parvenir à
intégrer tout l’être humain. La simplicité des gestes et la sobriété des signes, effectués dans l'ordre et dans les moments prévus, communiquent et impliquent plus que le caractère artificiel
d’ajouts inopportuns. L’attention et l’obéissance à la structure propre du rite, tout en exprimant la reconnaissance du caractère de don de l’Eucharistie, manifestent la volonté du ministre
d’accueillir, avec une docile gratitude, ce don ineffable. » (Cf. n°40)
- les évêques de France, enfin, par la voix du Cardinal André Vingt-Trois, Archevêque de Paris, ont rappelé que : « la liturgie (...) n’est pas un spectacle dont on pourrait critiquer à loisir le
programme et la distribution et corriger les partitions. Elle est l’expression de la foi et de la communion de l’Eglise. Elle est, en régime chrétien, l’action constitutive de l’Eglise. »
(Conférence à l’Institut catholique de Paris, le 26 octobre 2009)
Les diverses formes données arbitrairement à la liturgie ont conduit à une substitution du sentiment d’appartenance à l’Eglise par un sentiment d’appartenance à une chapelle particulière.
Désormais, de nombreux fidèles demeurés pratiquants vont donc à la Messe non plus là où la célébration liturgique est incontestablement le reflet de la foi catholique, mais plutôt là où la forme
de la célébration et le style du célébrant correspondent à leurs goûts ou à leurs attentes.
Or, là où la célébration de la liturgie se transforme en une cérémonie agencée selon des choix subjectifs, la foi elle-même se limite peu à peu à n’être plus qu’une collection d’impressions
personnelles dont rien ne garantit qu’elles puissent être et demeurer à l’unisson de l’Evangile. On en arrive alors à n’avoir plus qu’une conception protestante de l’Eucharistie et de l’Eglise;
une conception qui mène à ce que c’est la communauté locale qui devient la seule référence en matière de doctrine, autour du célébrant qu’elle se choisit. Et l’on glisse ainsi de la célébration
de la foi dans le Christ mort et ressuscité vers des célébrations de type « piétiste » de simples sentiments chrétiens ou de valeurs humanitaires partagés par l’assemblée des fidèles : l’ « être
ensemble », la « joie de croire », l’ « accueil de l’autre », la « compassion »... etc.
A cette habitude prise dans une majorité de paroisses d’adapter la liturgie au subjectivisme des fidèles s’ajoute la suppression du chant grégorien et la quasi disparition - en France du moins -
de liturgies célébrées en latin.
Celui qui cherche aujourd’hui une messe célébrée en latin avec le Missel romain restauré à la suite de Vatican II n’en trouve pas ; et celui qui cherche sur internet une vidéo de Messe en latin
ne trouve que des Messes célébrées selon la « forme extraordinaire » du rite romain, ce qui conduit à faire croire que l’usage du latin et du chant grégorien est désormais réservé à des fidèles
qui refusent la liturgie restaurée à la suite du Concile.
Au n°36 de la Constitution Sacrosanctum Concilium, il est pourtant clairement demandé que le latin soit maintenu dans la liturgie romaine et au n°116 il est dit que le chant grégorien doit
avoir la première place dans les célébrations.
La question légitime que l’on peut se poser ici est celle-ci : pourquoi l’Eglise a-t-elle tenu à maintenir l’usage d’une langue qui n’est pas comprise?
Les réponses sont multiples.
Premièrement, il faut rappeler qu’avant d’être faite pour être comprise à la façon d’un discours « intellectuel » sur Dieu, la liturgie est réalisée pour être vécue en tant qu’œuvre réalisée pour
Dieu. Nous l’affirmons à chaque Messe dans la prière qui précède la préface : « Prions au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Eglise... pour la gloire de Dieu (...et le salut du monde). »
Si l’on comprend cela, qui est essentiel, alors on peut aussi comprendre que le sens profond de la liturgie ne se saisit pas qu’à travers les concepts véhiculés par les mots qu’elle emploie. Elle
se saisit aussi - surtout, devrait-on dire - par le fait qu’on puisse s’y engager, s’y immerger pour se sentir porté par une action qui comprend des gestes et des formules rituelles, des symboles
reçus de la Tradition qui, agencés pour signifier et manifester objectivement l’intelligence de la foi, créent l’ambiance fascinante et captivante capable de conduire le fidèle au cœur du Mystère
célébré.
Celui qui ignore cette caractéristique essentielle de la liturgie ne peut pas comprendre la fonction spécifique du latin puisqu’il imagine - à tort - que saisir la signification des mots utilisés
dans une célébration permet de saisir automatiquement le sens de la célébration elle-même.
Quatre exemples sous forme de questions permettront de voir que comprendre ce qui est dit en liturgie n’implique pas que l’on comprenne automatiquement ce qui est célébré par la liturgie.
1. Imaginons un incroyant qui assiste à une Messe en langue courante. Il comprend tous les mots. Il a compris le mot « Agneau » et il a compris le mot « Dieu ». Mais comprendra-t-il pour autant
le sens chrétien de l’expression « Agneau de Dieu » ? (La réponse à cette question est donnée au n°64 de l’Exhortation post-synodale Sacramentum caritatis de Benoît XVI, à laquelle nous renvoyons
le lecteur.)
2. Lorsqu’ils célèbrent la Messe, tous les prêtres se disent « en union avec notre pape ». C’est du français ; ils comprennent. Mais donnent-ils toujours, par leur façon de traiter la liturgie,
la preuve manifeste de leur « union » avec le Successeur de Pierre ?
3. Au moment de la communion, les fidèles entendent distinctement le prêtre leur affirmer - dans leur langue maternelle - que l’hostie qu’ils reçoivent est le Corps du Christ. Pour autant, tous
les fidèles qui approchent de la Table du Seigneur ont-il automatiquement conscience de l’ampleur du sacrement qu’ils reçoivent et de la démarche qu’il implique ?
4. Vous êtes en voyage au Japon au moment où se produisent un séisme et un tsunami. Vous voici en danger de mort imminente et vous cherchez un prêtre qui puisse vous donner l’absolution. En voici
un... mais il ne parle que le japonais. Il comprend néanmoins ce que vous attendez de lui et vous donne l’absolution en prononçant des mots que vous ne comprenez pas. Pour autant, n’aurez-vous
pas la certitude que le sacrement est opérant ?
Le Père Thomas Diradourian, prêtre du diocèse de Fréjus-Toulon et membre de la Communauté Saint-Martin où il enseigne la liturgie, a fait remarquer à juste titre que l’on n’avait jamais pu
constater que le sens de la liturgie en général et de l’Eucharistie en particulier ait augmenté là où l’on avait supprimé le latin. C’est même parfois le contraire qui est advenu, comme il l’a
fait remarquer Benoît XVI dans la Lettre du 7 juillet 2007 qu’il a adressée aux évêques du monde entier pour leur expliquer la portée véritable du Motu proprio Summorum pontificum : « Aussitôt après le concile Vatican II -
écrit le pape - on pouvait supposer que la demande de l’usage du Missel de 1962 [intégralement en latin] aurait été limitée à la génération plus âgée, celle qui avait grandi avec lui ; mais
entre-temps il est apparu clairement que des personnes jeunes découvraient également cette forme liturgique, se sentaient attirées par elle et y trouvaient une forme de rencontre avec le mystère
de la Très Sainte Eucharistie qui leur convenait particulièrement. »
Enfin, il faut voir que la suppression généralisée des célébrations en latin comporte un certain nombre de risques pour l’Eglise catholique. Parmi ceux-ci :
1. Le risque de voir se constituer des communautés identitaires limitées à une sphère linguistique particulière, qui excluent les fidèles ne maîtrisant pas le parler local ;
2. Le risque de voir émerger une mentalité conduisant à penser que la liturgie ne tient son efficacité - c’est-à-dire sa puissance sanctificatrice - que de sa capacité à être intégralement
comprise par tous ;
3. Le risque de voir la liturgie se transformer en symbole politique dans des pays où coexistent différents groupes linguistiques. On songe ici à la Belgique qui a trois langues officielles, à la
Suisse avec ses quatre langues, et aussi à certains pays d’Afrique ou de l’Inde où l’on compte des dizaines de groupes linguistiques et où le latin liturgique est farouchement conservé par les
évêques dans la mesure où il constitue le moyen d’intégrer tous les fidèles dans des liturgies unificatrices.
On voit donc que le Concile n’a jamais demandé le remplacement systématique du latin par les langues nationales : ce qu’il a demandé, c’est de considérer que le latin n’est plus la seule langue
liturgique devant obligatoirement être utilisée dans le rite romain, et de voir que désormais des langues nationales pouvaient - dans certaines conditions bien précises - être également
employées.
Quant au chant grégorien, il faut voir qu’il n’est pas simplement un style musical qui plaît à certains fidèles et en agace d’autres. Il n’est pas là pour « faire beau » en servant de fond sonore
ou pour plaire aux nostalgiques... Le chant grégorien participe à l’expression de la liturgie dans son état le plus achevé ; il est la liturgie « dilatée » en chant et non du chant ajouté à la
liturgie ; il est une formulation lyrique du culte rendu à Dieu et, à ce titre, il ne corrompt par la liturgie qui a été à l’origine de son jaillissement mais l’exalte.
Certaines personnes farouchement opposées au chant grégorien ou qui n’en ont pas encore compris le sens profond, avancent que les mélodies grégoriennes sont difficiles à exécuter et, partant,
qu’elles sont réservées à des « spécialistes » ou encore aux moines.
Une telle affirmation peut-elle servir d’argument pour éliminer le chant grégorien des célébrations liturgiques actuelles ?
La réponse nous est fournie à la fois par l’histoire et par l’expérience.
Par l’histoire d’abord : elle nous apprend que le chant grégorien est le chant « populaire » par excellence puisque c’est le peuple qui l’a retenu par cœur, sans le secours de la notation
musicale, et qui l’a transmis de générations en générations comme une nourriture spirituelle à laquelle ont puisé les fidèles les plus humbles comme les plus savants, une Bernadette Soubirous
aussi bien qu’un Thomas d’Aquin.
Par l’expérience ensuite : elle nous apprend que le grégorien n’est pas un chant difficile. Il est exigeant, ce qui n’est pas la même chose ! C’est un chant qui demande attention et humilité,
calme et recueillement pour l’apprendre et le chanter d’une façon correcte conduisant à l’apprécier au fur et à mesure qu’on l’exécute ou quand on l’écoute.
Il y aurait beaucoup à dire sur les qualités et les vertus de ce chant, mais ce devrait être l’objet d’une autre conférence.
Toujours est-il que là non plus, la spiritualité liturgique n’a pas progressé chez les fidèles depuis qu’on l’a pratiquement supprimé des célébrations paroissiales pour le remplacer généralement
par des refrains qui ne laisseront de traces ni dans l’histoire de la liturgie, ni dans la mémoire des fidèles.
Mais revenons à Vatican II et voyons ce que dit très précisément la Constitution sur la Liturgie au sujet de la place qu’il convient de réserver au chant grégorien.
Au n°116, on lit que « l’Eglise reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine ; c’est donc lui qui, dans les actions liturgiques (...) doit occuper la première place.
»
Au n°117, le Concile demande que soit achevée l’édition typique de chant grégorien et que l’on procure une édition contenant des mélodies simples à l’usage des petites paroisses (c’est le
Graduale Simplex).
Si donc nous voulons être fidèles au Concile, nous devons veiller à ce que, au cours des célébrations liturgiques, les pièces du répertoire grégorien soient valorisées autant que faire se peut,
avec les livres de chant les plus récents, et non pas parcimonieusement octroyées.
On est très loin du compte dans nos paroisses de France !
Pour terminer sur cette question du latin et du chant grégorien, je citerai simplement un passage de l’Exhortation post-synodale Sacramentum caritatis du 22 février 2007 où, à la demande des
évêques du monde entier, le pape Benoît XVI a inséré les lignes suivantes : « Pour mieux exprimer l’unité et l'universalité de l’Eglise, je voudrais recommander ce qui a été suggéré par le Synode
des évêques, en harmonie avec les directives du Concile Vatican II : excepté les lectures, l’homélie et la prière des fidèles, il est bon que [les célébrations solennelles qui se font à certaines
occasions] soient en langue latine ; et donc que soient récitées en latin les prières les plus connues de la tradition de l’Eglise et éventuellement que soient exécutés des pièces de chant
grégorien. De façon plus générale, je demande que les futurs prêtres, dès le temps du séminaire, soient préparés à comprendre et à célébrer la Messe en latin, ainsi qu’à utiliser des textes
latins et à utiliser le chant grégorien ; on ne négligera pas la possibilité d'éduquer les fidèles eux-mêmes à la connaissance des prières les plus communes en latin, ainsi qu'au chant en
grégorien de certaines parties de la liturgie. » (Cf. n°62)
Pour conclure, ne devons-nous pas reconnaître et admettre, avec Benoît XVI et de nombreux spécialistes, que le concile Vatican II a été outrepassé ? Autrement dit, que ses intentions véritables
n’ont souvent été ni correctement comprises ni fidèlement mises en application ?
En France, probablement bien plus qu’ailleurs, on a vu dès les lendemains du Concile des institutions officielles ou officieuses se constituer en « magistères parallèles » qui s’arrogeaient le
droit d’interpréter la Constitution sur la Liturgie à partir d’une « herméneutique de la rupture » - pour reprendre une expression employée par le pape Benoît XVI - qui encourageait toutes les
expériences et toutes les déviations dans la façon de traiter la liturgie de l’Eglise. Comme le reconnaissent aujourd’hui de très nombreux théologiens ainsi que des évêques qui commencent à
parler, une certaine indiscipline a été élevée au rang d’acquis du Concile pour faire naître une ecclésiologie dans laquelle règnent désormais l’individualisme et l’esprit de chapelle. C’est ce
qui fait que dans bien des Messes paroissiale, la célébration de l’ « être ensemble », de la « convivialité », a pris davantage de place que l’accueil du Seigneur et la célébration de son
Sacrifice. Dans les assemblées dominicales règne alors une sorte de bienséance conformiste conduisant à traiter comme un « dissident » le fidèle qui demandera simplement que soit respectée la
liturgie.
Cette situation pour le moins aberrante permet de comprendre pourquoi de nombreux fidèles qui ne voient pas l’intérêt qu’il peut y avoir à participer à des liturgies qui ne reflètent plus que les
dysfonctionnement de l’ecclésiologie locale, fuient vers des communautés nouvelles ou dans des mouvements « traditionalistes »... quand ils ne cessent pas, tout simplement, de pratiquer.
Que faire alors ?
Le Bx. Jean-Paul II nous indique la direction à suivre dans son Encyclique Ecclesia de Eucharistia
du 17 avril 2003 : « La liturgie n'est jamais la propriété privée de quelqu'un, ni du célébrant, ni de la communauté dans laquelle
les Mystères sont célébrés. L’Apôtre Paul dut adresser des paroles virulentes à la communauté de Corinthe pour dénoncer les manquements graves à la Célébration eucharistique, manquements qui
avaient conduit à des divisions (schísmata)
et à la formation de factions (airéseis)
(cf. 1 Co 11, 17-34). A notre époque aussi, l’obéissance aux normes liturgiques devrait être redécouverte et mise en valeur comme un reflet et un témoignage de l’Eglise une et universelle, qui
est rendue présente en toute célébration de l’Eucharistie. Le prêtre qui célèbre fidèlement la Messe selon les normes liturgiques et la communauté qui s’y conforme manifestent, de manière
silencieuse mais éloquente, leur amour pour l’Eglise. (...) Il n’est permis à personne de sous-évaluer le Mystère remis entre nos mains: il est trop grand pour que quelqu’un puisse se permettre
de le traiter à sa guise, ne respectant ni son caractère sacré ni sa dimension universelle. »
Sachant que, comme le relevait le Cardinal Ratzinger, « il y a un lien très étroit entre la crise de la liturgie et la crise de la foi », le 50è anniversaire de l’ouverture de Vatican II ne
devrait-il pas être l’occasion, pour tous les fidèles, mais plus particulièrement pour les prêtres, d’un engagement sincère à mieux connaître et à mieux respecter la liturgie romaine restaurée
selon les principes de la Constitution Sacrosanctum Concilium ?
C’est en tout cas un souhait à formuler et à porter dans notre prière.