La garde des Sceaux Christiane Taubira présente, ce mercredi matin, en Conseil des ministres, le projet de loi qui ouvre le
mariage et l'adoption aux couples de même sexe. Le Parlement l'examinera en janvier. Entretien.
Quel est l'argument qui vous semble décisif, vis-à-vis de l'opinion, en faveur du mariage des homosexuels ?
J'en appelle au sens de l'égalité des Français. À cette valeur inscrite dans la devise de notre République. Nous y sommes tous
sensibles. Et l'égalité, cela ne se postule pas simplement, elle se met en pratique. Nous voulons donc permettre à tous ceux qui le souhaitent d'avoir accès aux trois façons de faire couple dans
notre société. Le concubinage, le pacs, le mariage. L'égalité est un marqueur de la gauche et n'oublions pas qu'il y a trente ans, c'est elle, déjà, qui a dépénalisé
l'homosexualité.
L'instauration du pacte civil, le Pacs, en 1999, ce n'était pas suffisant ?
Il n'y a pas grand intérêt à refaire l'Histoire. Le Pacs était un progrès violemment contesté par la droite de l'époque. Déjà,
d'autres voulaient aller plus loin. Notre société évolue.
C'est moins l'union civile des couples homosexuels qui est débattue que la possibilité offerte d'adopter des enfants. Vous modifiez donc le
Code civil en profondeur ?
C'est une réforme de société et on peut même dire une réforme de civilisation. Nous n'avons pas l'intention de faire comme si nous
ne retouchions que trois ou quatre virgules dans le Code civil. Mais nous pensons que notre société est capable, dans sa majorité, de l'accepter. Pourquoi ? Parce que les Français vivent au
quotidien des situations de couples de personnes de même sexe, de familles homoparentales, et qu'ils savent que ce n'est pas une catastrophe. Nous ne faisons qu'ajuster le droit à une réalité
sociale et humaine.
L'opposition, les religions, vous accusent de « dénaturer » le mariage traditionnel...
Je comprends que des personnes puissent s'interroger. Pour certains - ils ne constituent pas la majorité - le mariage est d'abord
un sacrement religieux. Nous avons procédé à de nombreuses auditions, y compris des représentants des cultes, et personne ne m'a accusé de « dénaturer » l'institution du mariage ou de remettre en
cause les fondements de la société. En ma qualité de garde des Sceaux, je traite du mariage civil, je ne touche pas à la Bible. À chacun son domaine. Et puis, il y a tous ces propos pas très
éclairés qui évoquent les mariages à trois, la polygamie... Ils cherchent à jeter le trouble, mais leurs arguments ne reposent sur rien. Qu'ils regardent donc du côté de l'Espagne, où
l'opposition aujourd'hui au pouvoir était, il y a sept ans, absolument opposée au mariage homosexuel. Elle ne le remet pas en question.
Instaurez-vous un droit à l'enfant pour les couples homosexuels ?
Il n'existe pas de droit à l'enfant. Nous ouvrons, à droits constants, le mariage et l'adoption aux couples de même sexe. Les
procédures et les règles seront les mêmes pour tous, couples hétérosexuels, couples homosexuels. C'est le juge, en dernière instance, qui prononce l'adoption.
Autre argument souvent entendu : un enfant ne se construirait bien que dans l'altérité père-mère ?
C'est la vision du couple traditionnel marié, père, mère, enfant. Mais aujourd'hui, 54 % des enfants français naissent hors
mariage. On atteint, dans certaines villes et quartiers, jusqu'à 27 % de familles monoparentales. Voilà la réalité sociologique. Il est important qu'un enfant vive en famille. Le Code civil le
dit clairement : il entre dans la famille de l'un et de l'autre. Mais les figures féminines dans le cas d'un couple masculin, ou les figures masculines dans le cas d'un couple de femmes, ne
disparaissent pas. Il y a les grands-parents, les tantes, les oncles... L'enfant est socialisé. Il va à l'école. Il peut parfaitement prendre connaissance de sa filiation.
Pourquoi n'avez-vous pas ouvert la procréation médicalement assistée aux couples de femmes ?
Cela n'entre pas dans le champ de l'égalité. La PMA est régie par les lois bioéthiques. Elle est autorisée à des couples stables,
infertiles ou atteints d'une maladie héréditaire. Et elle ne peut pas s'appliquer aux couples masculins. Il y a donc inégalité. Quant à la gestation pour autrui, la GPA, elle est interdite selon
le critère de l'indisponibilité des corps. D'ailleurs, au cours des auditions, personne ne l'a réclamée.
Une majorité parlementaire pourrait se dessiner en faveur de la procréation médicalement assistée ?
S'il y a une majorité et un amendement voté, le gouvernement en prendra acte. Nous en débattrons. Je porterai la voix et la
position du gouvernement.
Certains maires affirment qu'ils ne célébreront jamais de mariages homosexuels. Que risqueront-ils, la loi votée ?
Si le maire en confie la charge à l'un de ses adjoints, aucun problème. Si tout un conseil municipal refuse, je lui rappellerai
qu'il agit en qualité d'officier de l'état civil par délégation de l'État. Il est tenu de respecter la loi. S'il s'y refuse, il peut être suspendu ou révoqué. Quant aux demandeurs du mariage, ils
peuvent saisir la justice au titre du Code pénal contre les discriminations. Les sanctions sont sévères : jusqu'à trois d'emprisonnement et 45 000 € d'amende.
Recueilli par Bernard LE SOLLEU lemonde.