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14 avril 2010 3 14 /04 /avril /2010 18:31
JAMES ELLROY

De l'Histoire des Etats-Unis, des marginaux magnifiques, des hommes sans conscience et de la Rédemption. Une interview de James Ellroy.

Cet entretien est extrait de Petite Mécanique de James Ellroy (L'oeil d'or - essais et entretiens, juin 1999). Nous la publions dans son intégralité avec l'aimable autorisation des éditions de L'Oeil d'or.

Comment avez-vous écrit American Tabloid, roman de 744 pages et aux 57 personnages ?

J'emploie d'abord des journalistes pour faire des recherches historiques et chronologiques. Puis je lis l'incroyable quantité de livres écrits sur l'assassinat des Kennedy, et je rédige des " fiches fictionnelles ", je les mets à côté des fiches historiques, je mélange le tout. Il en sort un synopsis de 270 pages où est mise en place la " succession événementielle " jusqu'au dernier détail. Enfin, je suis ce synopsis pour la rédaction finale. Comme toute l'histoire est déjà structurée, je peux alors me consacrer à la part subjective de l'œuvre. A l'intériorité des personnages, à leur point de vue. Enfin, Nat Sobel, mon agent littéraire, me lit à chacune de ces étapes mais ne fait aucun commentaire sur le style.

Dans le Quatuor de Los Angeles, travailliez-vous sur des dossiers internes à la police de Los Angeles ?

Les journalistes n'ont pas accès aux dossiers internes de la police. Même s'ils existaient, je ne les lirais pas. Tout cela est de la fiction.

Le centre de vos œuvres précédentes était le cœur du mal, incarné par Dudley Smith. Dans American Tabloïd, ce cœur semble moins important.

Hoover prend la place du mal absolu.

Oui, mais ces deux figures, Hoover et le père Kennedy, restent à l'arrière-plan. Les figures principales ici sont celles de Littel et de Sand, qui sont des figures d'hommes blessés.

Avec American Tabloïd, je voulais plus de dialectique et surtout trois personnages qui n'aient aucune motivation psycho-sexuelle. Et faire de l'humour - en détournant par exemple l'histoire de Marylin Monroe et du chauffeur d'Yves Montand. Je voulais aussi montrer l'absurdité de certains groupes américains. Comme le Ku Klux Klan et leurs petite fêtes champêtres. Cette confluence, dans les années soixante, du racisme et de l'anticommunisme a donné des gens fondamentalement abominables, mais totalement comiques, dérisoires. Leurs idées sont tellement folles, absurdes, que j'ai voulu faire rire d'eux. Et montrer que les rares personnages réalistes, comme Bondurant le tueur ou Boyd l'homme de main de l'Etat, font la juste analyse de tout cela : c'est bon pour les affaires.

Vous faites rire, mais rire jaune. Lorsqu'un membre du KKK explique à Boyd qu'il a mis le feu à l'église noire, il le tue.

Oui. Mais Boyd est l'homme cloisonné, qui d'un côté vend de l'héroïne aux Noirs, et de l'autre se bat pour leurs droits civiques. Et c'est aussi un tueur, nous en savons moins sur ses motivations à la fin du livre qu'au début.

Le traitement des liens entre la mafia et la CIA au sujet de Cuba est hallucinant.

Tout cela est vrai. A cette époque, il n'existait pas d'éthique, de responsabilité politique de l'Etat face à ses électeurs. L'assassinat des Kennedy est le point de départ d'une prise de conscience des électeurs, des politiciens et des institutions. De leurs responsabilités politiques. Mais ce roman, c'est aussi l'histoire - vue de l'intérieur et par le petit bout de la lorgnette - d'Hollywood, de la criminalité et des politiciens.

Kennedy est un personnage assez pauvre ?

Délibérément. C'est une coiffure.

De Gaulle n'aimait pas du tout Kennedy, il le décrivait comme un play-boy et un garçon coiffeur.

De Gaulle avait beaucoup d'humour. Je suis content que le Chacal ne l'ait pas tué. Il y a eu plusieurs tentatives d'assassinat contre De Gaulle ? Pour Kennedy, la première a réussi. Nos tueurs sont plus doués.

En France, lors de la parution de vos premiers livres, vous avez été qualifié d'écrivain de droite ou d'extrême-droite. Pourtant vous dénoncez la chasse aux sorcières et le racisme. Comment êtes-vous perçu, aux Etats-Unis ?

Les Américains se contre-foutent de l'option politique de leurs écrivains. La droite ne m'a jamais attaqué, ni la gauche. Une fois, une lesbienne radicale-féministe m'a traité de fasciste homophobe antisémite, et un journaliste d'antisémite, d'anti-mexicain et de néo-nazi. Pour le reste, rien, ni d'un côté, ni de l'autre.

Croyez-vous au diable, et pensez-vous qu'il y a une bonne ou mauvaise façon de croire au diable ?

Je n'ai jamais cru ni au diable ni à une quelconque entité satanique. Le mal, ce sont les êtres sans conscience. Ceux qui sont incapables d'éprouver de la sympathie ou de l'empathie pour les autres êtres humains.

Dans vos romans, le tueur à gages ou le flic pourri, et le serial killer, sont liés au mal. Pourtant le tueur et le policier ne sont pas totalement mauvais. Ils descendent la pente en cherchant leur salut. Il s'agit de Rédemption, comme chez Conrad ou Melville.

Je crois en la Rédemption, mais pas en termes religieux. Les personnages qui m'intéressent sont ceux qui brisent les jambes de l'Histoire. Qui mettent en acte au plus bas niveau les décisions politiques : les barbouzes, les poseurs de mouchards... Ce livre dépasse toutes les ventes des livres précédents... Je dois avoir touché quelque chose qui tient de l'inconscient collectif... Ces superbes années 58 où l'on pouvait faire du chantage sexuel, casser la gueule à de futurs informateurs, assassiner Jack la belle coupe...

Mais le dernier mot de Clandestin est "ma rédemption" ?

Oui. La rédemption me touche personnellement. Vous connaissez mon histoire. Ecrire a été ma rédemption. Passion, douleur, honte et regret. Tout cela est le roman noir. Passion et violence.

L'autre figure du Mal est le serial killer. Mais tant Colemen que Gras Dogue, avant d'être des assassins, sont des victimes. Est-ce que même les serial killers seront sauvés, et par les livres d'Ellroy ?

Mon public et moi savons ce que savent tous les écoliers. Ceux qui reçoivent le mal feront le mal en retour... Mais je n'écrirai plus sur le serial killer. Je ne ferai plus de polar. Je ne ferais pas pour autant des livres joyeux... Mais ces personnages ne m'intéressent plus. Et ce qui plaît en réalité aux lecteurs, chez ces tueurs, ce ne sont pas leurs motivations sexuelles mais leur pouvoir. Cette capacité à assouvir leurs désirs. Ils veulent, ils prennent. Rien ne peut les arrêter. Ici, je pointe un désir collectif, celui de pouvoir avoir, de pouvoir posséder qui l'on veut, donc tout ce que l'on veut.

Coleman essaye de se sauver par la musique. Il n'y arrive pas parce que la destruction est trop profonde. Est-ce que pour vous le point de non retour est là : le moment où la création ne peut plus cicatriser les blessures psychiques ?

Coleman n'était pas un très bon musicien. Peut-être, s'il avait été un aussi bon sax que Charlie Parker, qu'il ne se serait pas déguisé en glouton pour dévorer les gens. Il en aurait juste acheté un, empaillé. Le Glouton, le Carcajou.

Ce rapport entre création et violence se retrouve aussi dans A Cause de la Nuit.

Oui. Mais vraiment, les tueurs me fatiguent. Je n'ai plus envie d'en parler. Cette image est fausse, présomptueuse, l'esthétique du Serial Killer m'ennuie. Etre très intelligent, s'échapper de prison en sortant un trombone d'entre ses dents... Bof.

Mais les policiers aussi font de la poésie : Jungle Jack Hersog, l'associé de Clandestin. Ils écrivent, mal, et meurent. Savoir écrire, c'est dominer la violence et pouvoir vivre ?

Je connais des tas de gens qui ont des rêves démesurés, et des talents limités. Moi même, lorsque j'ai commencé à écrire, je voulais le succès absolu. L'échec est terrible, cela rend fou. Walker La Fêlure est un hommage à un camarade de lycée, Walkie boy. Il était exhibitionniste. Il urinait partout. Il portait un coupe-vent kaki avec lequel il se déguisait en Batman. C'était un ami, je l'aimais bien. Je n'ai jamais distingué la part de jeu et de folie réelle en lui. J'avais un autre ami, un adolescent juif qui pour faire pleurer son père se tenait devant son magasin de spiritueux, portant des brassards nazis et imitant les camés noirs. Je l'aimais bien lui aussi, complètement allumé, fana de cinéma, parfois profondément génial. Je connaissais aussi un gars, légèrement débile, avec un coupe-vent orange. Exhibitionniste, il passait devant la caserne des pompiers, sur son vélo, le sexe à l'air, en grognant. Un fou orange, grognant sur son vélo et montrant sa queue aux pompiers (rire). Je ne sais pas ce qu'il est devenu. Je rends hommage à ces êtres-là dans mes livres. Ces demi-fous parfois géniaux. Et je me démarque de mon propre personnage, l'écrivain sérieux et méticuleux. J'aime les oubliés de l'histoire. Quand j'étais jeune, ils étaient peu nombreux, donc ils étaient des personnages. Maintenant nous regorgeons de SDF, de camés, de désespérés. Plus des figures ou des personnages. Une masse.

Dans tous vos livres, nous trouvons un père responsable du malheur des fils. Un père carnivore, dangereux, déjanté, pervers.

L'Amérique échappe à tout contrôle aujourd'hui. Tout ce qui se passe aujourd'hui se passait déjà à l'époque, mais à une plus petite échelle. J'obtiens donc un effet beaucoup plus fort en mettant en place mes histoires dans une société apparemment plus policée, plus calme, un peu morose. Mais en réalité il s'agissait d'une époque aussi violente, avec un racisme à tous les niveaux, un contrôle absolu et une répression terrible. La nostalgie des gens pour ces années-là cache un désir de revenir à une époque inconsciente. Une époque où tout était sous contrôle. Où ils ne voyaient rien, ne décidaient rien. Ne savaient rien. Aujourd'hui nous savons, et nous ne contrôlons pas. C'est une nostalgie de mouton. La paix du tout dissimulé.

Auteur de romans très noirs, mettant en scène des policiers corrompus, des tueurs professionnels, tout une catégorie de durs particulièrement violents, vous semble-t-il que votre lectorat soit principalement masculin, ou est-il équitablement réparti entre hommes et femmes ?

Mon premier lecteur est ma femme, et elle aime mes personnages féminins, et leur façon de réagir face à la violence, ou à la passion. Je ne pense pas que mon lectorat soit plus masculin que féminin. De plus, en France, les premiers papiers écrits sur mes livres l'ont été par des femmes...

Propos recueillis par Bernard Sichère
et Jean-Luc André d'Asciano
En la présence de Freddy Michaslky et François Guérif

 

  LE DERNIER LIVRE DE LA TRIOLOGIE

 

  24 février 1964, 7 h 16 du matin à Los Angeles.
Attaque d'un fourgon blindé de la Wells Fargo. Quatre convoyeurs abattus, trois braqueurs morts ; le quatrième a pris la fuite en emportant seize sacs de billets et quatorze mallettes remplies d'émeraudes. C'est sur ce braquage, disséqué avec une maestria éblouissante, que s'ouvre Underworld USA, dernier volet de la trilogie commencée avec American Tabloid. Le narrateur reste dans l'ombre ; il a " suivi des gens, posé des micros et mis des téléphones sur écoute ".
Il nous prévient que le livre est fondé sur " des documents publics détournés, des journaux intimes dérobés, la somme de mon expérience personnelle et quarante années d'études approfondies ". Le récit lui-même peut alors commencer, suite directe d'American Death Trip. Eté 1968 : Martin Luther King et Robert Kennedy ont été les victimes de conspirations meurtrières. La Convention démocrate de Chicago est sabotée par des spécialistes en coups fourrés.
Howard Hughes s'est fait escroquer dans le rachat des casinos de Las Vegas par la mafia. Les militants noirs se préparent à l'insurrection dans les quartiers sud de Los Angeles, et le FBI, toujours sous la houlette de J. Edgar Hoover, utilise tous les moyens pour les détruire. A la croisée de ces événements, le destin a placé trois hommes : Dwight Holly, l'exécuteur des basses oeuvres de Hoover, Wayne Tedrow, ancien flic et trafiquant d'héroïne, et Don Crutchfield, jeune détective obsédé par les femmes.
Dwight, Wayne, Don : leurs vies s'entrechoquent sur la piste de Joan Rosen Klein, la " Déesse rouge ", et chacun d'eux paiera " un tribut élevé et cruel à l'Histoire en marche ". En 131 chapitres et cinq parties au titre aussi évocateur que provocateur, ce roman noir et politique reconstruit les années les plus tourmentées de l'Amérique du XXe siècle, avec une largeur de vision et une profondeur stupéfiantes.
Underworld USA est la flamboyante conclusion de la trilogie qui a placé James Ellroy au rang des " plus grands écrivains américains d'aujourd'hui ", selon le Los Angeles Times Book Review

LE TOME NUMERO 2

LE PREMIER DE LA TRILOGIE

 

 

 

 

http://www.dailymotion.com/video/xbw2im_james-ellroy_creation

 

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commentaires

T
<br /> James Ellroy en guest pour SELF CONTROL CLUB http://www.dailymotion.com/video/xgr6on_self-control-club-teaser-3-with-james-ellroy_fun<br /> <br /> <br />
Répondre
T
<br /> Les écrivains américains sont plus complexes que les écrivains français, souvent sortis de l'Université française ou des grandes écoles, qui excellent surtout dans l'exercice du journal intime, sur<br /> le mode "Moi, je ...", et sont les épigones de Gide. Aux USA, les Ellroy ou Bunker sortent de nulle part, de la culture de la street, et écrivent avec leur tripe, tout en se foutant du message<br /> politique si important pour les français ! Par contre, je ne peux plus supporter le style télégraphique d'Ellroy, je me suis arrêté au Grand Nulle part, son meilleur, et je vais relire un Tueur sur<br /> la route, qui m'avait bien plus, il y a une dizaine d'années !<br /> <br /> <br />
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