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Camus

 

Ecrivain.
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Oh, vous êtes dur, Ménard ! Vous vous rendez compte de ce que vous me faites lire ¹ ? « Ça vous prendra dix minutes ! » Comment disait Zazie, déjà, dans son métro d’avant le changement de peuple ?

Remarquez, je dois reconnaître que ça commence bien. L’épigraphe est parfaite — Novalis, rien de moins, les Hymnes à la nuit, et en langue originale, encore :

Vor allen aber des herrlische Fremdlin,
mit desn sinnvollen augen,
dem schwebenden Gange
und den zartgeschlossenen tonnischen Lippen

On commence à se dire qu’il doit s’agir d’un rapport sur l’intégration à l’Allemagne éternelle mais une traduction est offerte :

Et plus qu’eux tous, l’Étranger,
Superbe aux yeux profonds,
à la démarche légère,
aux lèvres mi closes, toutes frémissantes de chants

Évidemment, présenté comme ça, on ne peut être qu’enthousiaste — à ceci près, tout de même, que cet Étranger magnifique, si on l’intègre, ne pourra pas ne pas perdre de sa superbe, avec sa condition d’étranger. C’est toujours l’une des principales contradictions des remplacistes : leur amour de l’Autre, que je partage entièrement, les pousse à en faire à toute force du Même.

Saint-John Perse aurait tout aussi bien convenu, remarquez : non seulement il écrit en français, lui, mais il est plus optimiste et il introduit subrepticement le thème de l’économie parallèle :

Étranger. Qui passait. Et nous parle d’une herbe

Quoiqu’il en soit on reste, hélas, dans l’illusion lyrique : d’une part parce que notre Étranger réel, si j’en juge par le métro, toujours, ne se présente pas tout à fait comme cela, mais surtout parce que le rapport lui-même, une fois passé l’épigraphe, ne sonne pas du tout comme du Novalis ou du Perse : « Le résultat de l’intégration, on ne l’a pas assez dit, n’est donc pas la prospérité, la santé et l’emploi pour les étrangers : l’intégration garantit seulement que le défaut de prospérité, de santé ou d’emploi n’est pas dû à d’autres motifs qu’éprouvent et subissent ceux auxquels une origine étrangère n’est pas prêtée. »

C’est un peu verbeux, pourtant on a l’impression qu’il manque des mots : d’autres motifs que ceux ? Mais si on comprend bien néanmoins, défaut de prospérité, de santé ou d’emploi sont constants, fixes, acquis, garantis — ce que peut changer l’intégration, ce sont les motifs. C’était bien ce qui ressortait, d’emblée, de l’austère définition proposée :

« Qu’est-ce que l’intégration ?
« C’est le phénomène social par lequel se dissipe le rôle majeur de l’origine réelle ou supposée comme facteur des difficultés sociales rencontrées par une personne. »

Pour ce qui est des difficultés sociales, on ne peut rien pour vous, dit en somme M. Tuot, elles sont là de toute façon, mais on peut essayer de faire en sorte que votre origine n’y change rien : origine étrangère ou pas, promis, ce sera la même chose pour tout le monde.

Il s’agit donc d’appliquer à la citoyenneté ce qui a si bien réussi à l’éducation : jadis, il y en avait une bonne et une mauvaise, on a réussi à obtenir, au nom de l’égalité, et en dépensant des milliards, que tout le monde en reçoive démocratiquement une mauvaise. Il n’y a pas de raison qu’on ne puisse faire aussi bien pour l’appartenance à la nation.

À part ça, la routine : régularisations massives, naturalisations à la chaîne, plus d’argent pour les associations. J’avoue que je n’ai pas tout lu. J’ai fait ce que vous m’aviez dit, j’y ai passé dix minutes. À mon avis, l’intégration marchait très bien quand elle n’était pas une politique mais l’expression d’un désir de la part des futurs intégrés. Qu’il y faille tant de mesures et tant d’argent, à présent, prouve assez que c’est une affaire désespérée.