Intégration, expulsions, sans-papiers, regroupement familial, régularisation, droit du sol et du sang : l’immigration est au centre des conversations, au cœur du discours politique,
et suscite d’incessantes polémiques. En tant que chrétiens, cette grave question ne peut que nous interpeller. Pourtant, il est difficile de savoir quelle position adopter face à la complexité du
problème…
L’abbé Grégoire Celier, prêtre, ancien professeur de philosophie, écrivain religieux, prend le problème à bras-le-corps, et propose une réflexion enracinée dans la foi, mais
profondément originale et décapante. Une occasion de remettre en cause des idées toutes faites !
Une doxa chrétienne sur l’immigration ? – Une doctrine sur l’immigration – Quelques principes – Droits et devoirs de l’immigration – Distinctions nécessaires – Politique du
codéveloppement – Peuples jeunes, peuples vieillards.
L’abbé Celier s’attache à distinguer méthodiquement le profil des différents migrants, leur origine et leurs motivations : ceux qui sont sollicités, ceux qui sont chassés de
chez eux pour des raisons multiples (idéologiques ou de survie) – deux catégories réputées laborieuses – et ceux qui ne cherchent qu’à profiter dans l’oisiveté d’une législation sociale
particulièrement attractive. Dévolue à l’origine par le Créateur indistinctement à l’humanité tout entière, la planète a fait l’objet, au fil des millénaires, d’une appropriation de territoires
par des individus, familles, cités et nations qu’un enracinement salutaire a sauvegardés de l’anarchie. Or, cette propriété privée garante du bien commun est gravement compromise en raison de la
déchristianisation de l’Europe dont la démographie agonisante est le corollaire.
Le théologien-philosophe circonscrit étroitement l’état d’extrême nécessité de l’étranger (catastrophes naturelles, guerres civiles, génocides programmés – justifiant réquisition
d’un bien privé par la puissance publique) – souvent invoqué abusivement, et définit avec pertinence les droits et les devoirs du catholique face à la submersion migratoire, rappelant que la
charité « n’est pas exigible en justice », que « la terre n’est plus sans maîtres » et que « les nations possèdent légitimement leurs
pays » qui recevront les candidats de leur choix en fonction des besoins ponctuels et de la proximité de leurs us et coutumes afin de ne pas altérer le fonds religieux et ethnique de la
patrie. Il dénonce vigoureusement l’idéologie immigrationniste, tant des capitalistes cupides asservissant à bon marché une main-d’œuvre docile que des utopistes post-marxistes. Toutes réflexions
qui sont le fruit du bon sens éclairé par la foi.
Rappel synthétique de quelques principes de base, au regard de l’enseignement de l’Église, qui devraient dicter le comportement des hommes politiques français vis-à-vis de la
question de l’immigration. Présenté sous forme de questions/réponses, le développement est clair, bien argumenté et convaincant sans être exhaustif sur un tel sujet.
Mettre ces deux mots en parallèle pourrait laisser croire que de la foi découle une attitude politique évidente face à l’immigration. Ce n’est pas le cas. Comme pour tout ce qui touche à
l’organisation de la cité, l’Eglise ne donne que des orientations pour guider les chrétiens ou tout Etat pour lequel la politique est au service des citoyens.
Deux idées suffisent à résumer la réflexion de l’Eglise dans ce domaine : charité et bien commun.
1. Savoir concilier charité et souci du bien commun
L’immigration : un droit naturel...
Accueillir ceux qui sont contraints de fuir leur pays
L’Eglise reconnaît l’immigration comme un droit naturel du fait même de la destination universelle des biens : "Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à
l’usage de tous les hommes et de tous les peuples" .
On ne peut donc refuser à des personnes vivant dans des conditions particulièrement éprouvantes d’émigrer : "pour eux doivent être libres les voies de l’émigration, le
droit naturel l’exige" . En conséquence, chacun est tenu de respecter la dignité des personnes concernées : tout immigré doit trouver dans le pays qui l’accueille les conditions d’une
vie décente.
Au premier rang de ces conditions minimales : une vie familiale normale. Doivent être respectés "la dignité et les droits de la personne humaine et de la famille, pour que
celle-ci demeure réunie, qu’elle puisse créer un nouveau chez soi et y trouver le nécessaire, afin de vivre contente et agréable à Dieu", explique Pie XII . Alors que la question du
regroupement familial se posait de manière aiguë en France dans les années 80, l’exhortation apostolique "Familiaris Consortio" confirme en 1981 "le droit
d’émigrer en tant que famille pour chercher de meilleures conditions de vie".
N’émigrer qu’en dernier recours
L’Eglise ne considère cependant pas que les phénomènes migratoires constituent une norme d’organisation du monde et des cités. Pour un individu, émigrer est un moindre mal : personne
"ne consentirait à échanger contre une région étrangère sa patrie et sa terre natale, s’il y trouvait les moyens de mener une vie plus tolérable" . Jean-Paul II utilise
l’expression de "mal nécessaire" dans "Laborem Exercens" (1981) : "l’émigration est sous certains aspects un mal", qui
peut être "en des circonstances déterminées ce que l’on appelle un mal nécessaire".
En 1985, le Saint-Père rappelle, après avoir énuméré les méfaits du déracinement, "qu’on ne peut donc pas, a priori, considérer toute émigration comme un fait positif, à
rechercher ou à promouvoir" .
... mais subordonné au bien commun de la nation
L’immigration, droit naturel, n’est pas en effet un droit absolu. La position de l’Eglise sur l’attitude des pays d’accueil face à l’immigration est pleine de nuances. On la trouve résumée dans
ces propos de Pie XII : "la domination de chaque nation, bien qu’elle doive être respectée, ne peut être exagérée au point que, si un endroit quelconque de la terre permet
de faire vivre un grand nombre d’hommes, on n’en interdira, pour des motifs insuffisants et pour des causes non justifiées, l’accès à des étrangers nécessiteux et honnêtes, sauf s’il existe des
motifs d’utilité publique, à peser avec le plus grand scrupule".
Ce propos affirme le droit de l’immigration, mais il en pose aussi les limites. Ouvrir sa porte à l’étranger suppose, comme on l’a vu, de bien l’accueillir. L’Eglise demande aux pays d’accueil
de ne pas se limiter à donner des papiers aux immigrants mais de prendre toutes les mesures nécessaires à leur intégration complète. Elle n’exige donc pas des pays susceptibles d’attirer des
migrants de les accueillir sans discernement.
C’est, de toute façon, une conception de l’Etat gardien du bien commun qui guide l’Eglise dans sa réflexion sur l’immigration. Une immigration excessive, mal contrôlée et mal accompagnée, est
de nature à mettre en péril l’ordre public et la prospérité, les deux piliers du bien commun. Le cardinal Etchegaray, alors président de la Commission "Justice et paix" explique en février 1989
dans un document sur "L’Eglise face au racisme" : "Il appartient aux pouvoirs publics, qui ont la charge du bien commun, de déterminer la proportion de réfugiés ou
d’immigrés que leur pays peut accueillir".
Respecter le pays d’accueil : un devoir pour les immigrés
Le Catéchisme de l’Eglise catholique n’est pas moins clair : "Les nations mieux pourvues sont tenues d’accueillir autant que faire se peut l’étranger en quête de sécurité
et des ressources vitales qu’il ne peut trouver dans son pays d’origine. Les pouvoirs publics veilleront au respect du droit naturel qui place l’hôte sous la protection de ceux qui le
reçoivent. Les autorités politiques peuvent en vue du bien commun dont elles ont la charge subordonner l’exercice du droit d’immigration à diverses conditions juridiques, notamment au respect
des devoirs de migrants à l’égard du pays d’adoption. L’immigré est tenu de respecter avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel de son pays d’accueil, d’obéir à ses lois et de
contribuer à ses charges" (§ 2241).
2. Etat des lieux en France : le bien commun menacé ?
Jusqu’au milieu du siécle : un juste équilibre immigration / bien commun
L’évolution des politiques françaises d’immigration est significative. En 1882, pour la première fois, la question est abordée à la chambre des députés : les responsables politiques ont
pris conscience de l’apparition d’une nouvelle immigration, économique et politique, avec le recensement de 1881 et les émeutes de plus en plus fréquentes entre 1880 et 1890. Deux lois sont
votées en 1889 et 1893. La première définit une acquisition de la nationalité reposant à la fois sur le droit du sol et le droit du sang. La deuxième vise, dans un contexte d’explosion
industrielle, à éviter qu’une main d’œuvre bon marché ne vienne concurrencer les Français. Elle n’interdit pas aux étrangers de travailler mais leur demande d’indiquer à la mairie de leur
domicile leur lieu de résidence et l’emploi qu’ils occupent. Le bien commun, consciemment ou non, guide encore les décisions politiques dans ce domaine. Jusqu’au milieu du siècle, l’Etat, tout
en acceptant que certains impératifs économiques l’influencent, continue de placer les intérêts de la nation au premier plan. A partir de la deuxième moitié du XXème siècle, l’Etat ne joue plus
ce rôle. Mis devant un fait accompli économique, il ne se préoccupe plus du bien commun. Quand la question se transforme en débat idéologique, il est trop tard.
Depuis les années 1950 : des politiques d’immigration contraires au bien commun
Les statistiques sont peu fiables et souvent complexes à utiliser du fait de leurs modes de calcul . Il faut également toujours se souvenir qu’elles distinguent populations immigrées et
populations étrangères. Elles permettent cependant de définir les grandes lignes des politiques d’immigration contemporaines.
Baisse de la population étrangère en France ne signifie pas baisse du nombre d’immigrés . En 1998, près de 124 000 étrangers sont naturalisés français suite à l’adoption de la loi Guigou
qui élargit l’accès à la nationalité.
Les chiffres de l’immigration sont tout aussi significatifs : en 1998, les immigrés "permanents" en France étaient 120 000 de plus qu’en 1997. Si l’on ne prend en compte parmi eux que les
extra européens, l’augmentation est de 55%.
En matière de contrôle des flux d’immigration, la loi Pasqua, votée en 1993 eut quelques effets immédiats : en 1994, seulement 100 000 visas furent délivrés à
des Algériens contre 800 000 en 1988 . Mais par la suite, l’application de cette loi fut considérablement adoucie. En outre, les politiques d’immigration des Etats européens dépendent
désormais largement des accords de Schengen (signés en 1990, entrés en application en mars 1995).
Or ces immigrés arrivent dans un contexte économique qui n’est plus celui des Trente Glorieuses. Ils s’apprêtent donc souvent à s’installer dans une situation de précarité ou à vivre grâce aux
diverses allocations. On l’a assez dit, précarité rime de plus en plus souvent avec délinquance galopante. Dans le contexte français actuel, ce n’est donc respecter ni les nouveaux arrivants ni
le bien commun du pays d’accueil que de ne pas limiter le flux d’immigration.
L’assouplissement des conditions de naturalisation est quant à lui révélateur d’un état d’esprit : être français ne signifie plus rien.
L’orientation générale de la législation relative aux étrangers repose sur l’absence quasi-totale de l’obligation d’une démarche volontaire pour acquérir la nationalité. Elle est attribuée
automatiquement à 18 ans aux individus nés en France de parents étrangers et au bout d’un an à une personne étrangère dont le conjoint est français ; ce délai n’est plus nécessaire si le
couple a déjà un enfant.
Etre français n’exige plus l’adhésion à un système de valeurs et à une histoire, d’autant plus que la double nationalité est couramment admise en France. Au-delà du déracinement induit par
l’émigration, les étrangers ne trouvent pas en France l’exigence historique et politique qui leur permettrait de fonder leur nouvelle identité.
L’Islam a vite fait de représenter une allégeance de substitution. L’appartenance à une bande remplace l’appartenance à une communauté nationale.
En définitive, il apparaît que les critères posés par le catéchisme ne sont pas respectés. Les politiques françaises d’immigration et d’intégration ne font rien pour aider les nouveaux
arrivants à devenir des Français à part entière. La quantité d’étrangers admis sur le territoire national et l’idéologisation du débat les incitent à se poser en minorité exigeante de droits.
C’est le devoir d’un Etat de préserver le bien commun. Saint Pie X le disait : "Oui, elle [la patrie] est digne, non seulement d’amour, mais de
prédilection" . Il n’y a donc rien de honteux pour un chrétien à défendre le bien commun de la nation, la plus vaste des communautés naturelles. S’il le faut, il peut affirmer
qu’une politique d’immigration massive est contraire au bien commun.
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1990
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1999
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Variation
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Population étrangère
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3,6 millions (6,3% population)
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3,3 millions (5,6 % population)
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-8,3 %
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Naturalisations
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92410
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123800
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+ 34%
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